Par: Rachid RAHA
Lors de la visite du roi d’Espagne, Juan Carlos de Borbon I, au Maroc, les informations télévisées de TVE, du lundi 19/1/2005, rapportaient une de mes déclarations selon laquelle «juste trois ans après la mort du Général Franco, les espagnols se sont dotés d’une nouvelle constitution, la Carta Magna, où tout citoyen espagnol trouvait sa place. Par contre, le Maroc est toujours géré par la Constitution médiévale du défunt père du roi Mohamed VI». Juste quelques minutes après je reçois des appels téléphoniques de la part d’amis qui me reprochent l’utilisation du terme « médiévale » qui, selon leur point de vue, serait un peu fort !!!
Expliquez-moi alors comment définir une Constitution qui concentre des pouvoirs absolus entre les mains d’une seule personne ? Comment traiter une Constitution qui mélange profondément le religieux et les affaires politiques, ne fondant sa légitimité que sur la religion? Quel qualificatif donner à cette Constitution qui ne reconnaît guère l’histoire, l’identité et la langue de la majorité de la population marocaine autochtone qui est amazigh? Comment nommer cette Constitution qui a fait émerger une certaine personne qui a abusé délibérément du pouvoir et qui, après sa destitution, n’arrête pas de faire du chantage à travers les chaînes paraboliques, la presse internationale et nationale ? – Je parle en l’occurrence de Driss Basri -. Et la jeune élite proche de pouvoir royal, qui au lieu de prendre des leçons afin de réformer ce système en faveur d’un Etat de droit et d’institutions crédibles et responsables, poursuivent le même jeu que l’ancien homme fort en essayant de remplacer l’ancien ministre omnipotent par un autre !
Une question nous interpelle tous: où va le Maroc?
Une question semblable à celle posée par le président algérien assassiné Mohamed Boudiaf, juste après l’indépendance de son pays : où va l’Algérie ? Mais malheureusement, ce que souhaitait ce dernier et à propos de quoi il a sacrifié sa vie et ses espoirs ne s’est pas du tout réalisé. L’Algérie démocratique n’a jamais vu le jour et à partir des années quatre-vingt dix elle s’est dirigée vers le labyrinthe de la violence dont elle peine à sortir. Quant au Maroc, et selon mon analyse personnelle et en tant que chercheur en anthropologie politique, tous les indices permettent d’affirmer que le Maroc se dirige tout droit vers un Etat théocratique ou au moins vers un processus similaire à celui vécu par l’Algérie voisine! Pour expliquer ce phénomène, il me faudrait plus de place qu’une simple colonne éditoriale.
L’Etat marocain, avec son ministère des affaires religieuses et ses administrations, en essayant de faire de la compétition au discours islamiste, ne fait en réalité que le jeu des islamistes qui veulent appliquer la chariâ,…La création de la radio coranique, qui a envahit l’espace public et qui contredit paradoxalement tout un discours royal où les causeries religieuses devaient être réservées aux seuls lieux indiqués, à savoir les mosquées, en est un exemple !
Le Maroc n’a pris aucune leçon des événements de 16 mai, si ce n’est sur le plan sécuritaire ce qui ne résout en rien le problème de l’extrémisme religieux. Quand au pays voisin qu’est l’Espagne, juste après les terribles actes terroristes du 11 mars, tout le peuple espagnol a été interpellé et toutes les institutions de l’Etat se sont mobilisées. Le roi Juan Carlos avait totalement raison d’affirmer que la meilleure manière de lutter contre le terrorisme est de renforcer l’Etat de droit. Le premier ministre sortant et le nouveau élu se sont offerts à la commission d’investigation afin de répondre aux questions des groupes parlementaires, et ceci dans le souci de dégager les responsabilités et de voir ce qui a failli au sein des
institutions. La comparution en direct durant plus de 14 heures à la TVE du président du Gouvernement José Luis Rodriguez Zapatero a été pour moi la meilleure leçon que j’ai pu avoir en Sciences Politique, par ses explications des prérogatives, des objectifs, des responsabilités et des limites de chaque institution de l’Etat démocratique : le ministère de l’Intérieur, la police, la guardia civil, les services secrets, le ministère de la justice,…
Si au moins le Maroc regardait de plus prés l’exemple turque, il aurait défini sa feuille de route qui ne pourrait être que celle qui mène vers un Etat authentiquement démocratique. Il n’est jamais trop tard. Déjà dans les années vingt, notre héros Mohamed Abdelkrim El Khattabi admirait Jamal Attaturk qui a doté son pays, la Turquie, d’une Constitution laïque qui maintenant facilite la tâche des réformes pour l’entrée au sein de l’Union Européenne.
Même si une certaine presse francophone, proche de la nouvelle élite makhzénienne, attaque tout parti politique ou toute personne qui ose demander la révision de la Constitution, même si le chef de l’Etat affirme dans l’interview qu’il a accordé à El Pais que la monarchie marocaine
ne pourrait pas être de type européenne, nous ne pouvons pas rester résignés.
Au contraire, les imazighen, plutôt les militants amazighs, devront se mobiliser. Ils ont un grand devoir et une noble mission devant ce pays, c’est celui d’essayer de réussir la transition démocratique – tant voulue par le peuple marocain et tant souhaitée par l’Union Européenne – et cela ne pourrait aboutir qu’avec l’élaboration d’une nouvelle Loi Fondamentale où tout citoyen marocain, amazigh ou non amazigh, trouverait sa place, où les pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires seraient clairement séparés et où les régions disposeraient d’une autonomie politique, afin de passer d’une Constitution médiévale vers une Constitution démocratique et fédéraliste.