Par: Rachid RAHA
« votre civilisation est celle du fer! Vous avez de grosses bombes, donc vous êtes civilisés. Je n’ai que des cartouches de fusil, donc je suis un sauvage. » Mohand ABDELKRIM
Mohand ABDELKRIM El Khattabi est né en 1882, fils d’un cadi d’une fraction amazigh forte et guerrière, les Ait Ouryaghel du Rif central. Il avait suivi des études coraniques á la Quarawiyn de Fès. Son frère M’hamed, suivait la carrière d’ingénieur des mines á Madrid.Par le traité d’ Algésiras, les deux puissances colonialistes française et espagnole avaient partagé le Maroc en deux. Sous une étiquette de pacification, l’impérialisme espagnol s’était engagé à exploiter les minerais du Rif. Les « africanistes » espagnols ont pu faire taire les caids des villages et des confréries religieuses en les achetant avec de l’argent et du blé. Mohand Abdelkrim travailla au journal « Telegramma del Rif », dans l’office des affaires « indigénes » et fût nommé par la suite cadi en chef de la zone de Melilla. Sa famille a rendu un grand service aux autorités espagnoles et au sultanat du Maroc en capturant « el Rogui » Bouhmara. Mais il avait compris que les Espagnols s’intéressaient seulement á l’exploitation des mines et traitaient les Marocains en indigénes sauvages
Ainsi en 1915, il fût incarcéré pour délit d’opinion. En rentrant á Ajdir en 1919, il essaya avec son frére, qui rentrait d’Espagne á son appel, d’organiser la résistance.
Animé par un sentiment profond de vengeance, Mohand Abdelkrim s’est imposé comme « amghar » des fraction Ait Ouryaghel, Ait Tamsaman et Ait Tuzin afin de les organiser contre l’occupation militaire. Les 21et 22 juillet de 1921, eut lieu la fameuse et sanglante bataille d’Anoual. Une bataille historique où l’armée espagnole aux ordres du général Silvestre fût écrasée dans un fleuve de sang et repoussée jusqu’aux portes de Melilla, par des montagnards rifains aux effectifs nettement inférieurs et aux armes rudimentaires. La bataille d’Anoual s’est soldée par le suicide du général conquistador, la reddition du général Navarro au Mont Arruit, et des pertes matérielles et humaines colossales.
Le déclin du prestige moral et national de l’Espagne s’est encore aggravé en 1924 dans l’ouest du Rif. La capture du fameux Raissuni, un subordonné des espagnols, par Abdelkrim, rallia les fraction Djbala á la cause de façon unanime. Ainsi la retraite des soldats ibériques de Chechaouen et des montagnes Djebala, sous les ordres du général Berenguer fût extrêmement coûteuse. Un jeune officier nommé Francisco Franco, chef de la « Légion » créée par Milan Astray, participa activement á cette retraite, dont les chemins étaient parsemés de cadavres. La retraite fût décidée par le dictateur Primo de Rivera, qui a provoqué un coup d’Etat en 1923 à la suite de la mise en relief de l’implication du roi Alphonse XIII dans le désastre d’Anoual selon « el informe Picasso ».
Le 1-er février 1923, Mohand Abdelkrim proclama « La République Confédérée des Tribus du Rif » dont l’Etat reposait sur l’institution démocratique amazigh de la « Djemâat ». Cette dernière gérait les intérêts économiques de la communauté. En dehors de ses attributions législatives et judiciaires, la Djemâat des « aitarbaâine » supervisait l’autogestion rurale et la défense militaire.
La guerre révolutionnaire d’Abdelkrim inspira Hochi Minh et Mao Tsé Toung quand á la tactique de guerre de guérilla, en ce qu’elle était une lutte anti-coloniale inconditionnelle, que la république du Rif était un modèle de rationalisation administrative et qu’elle recherchait son institutionnalisation internationale au sein de la société des nations « S.D.N ».
Parmi les réformes sociales profondes entreprises par Abdelkrim, on peut citer l’interdiction des vendettas, la prohibition de l’emploi des cartouches en dehors des combats, la démolition des « Ichebrawen ». Il a pourchassé les marabouts et les confréries religieuses…
Mais la grande priorité d’alors était la formation de l’armée populaire. Celle-ci fût obligée, dans les plaines, d’entreprendre une guerre conventionnelle contre les impérialistes français.
DU ROLE JOUE PAR LA FRANCE
– Les colons français restaient-ils á l’écart?
– La révolution rifaine n’aurait-elle pas de répercussions sur l’œuvre de « pacification » du Maréchal Lyautey?
– Abdelkrim n’allait-il pas prendre la place de Moha dans les fraction berbères du Moyen Atlas? N’allait-il pas s’allier avec Si Raho de la « Tache de Taza »?
La réponse sur le terrain s’ est traduite par le renforcement des lignes de défense des troupes françaises, afin de priver les rifains de leur « grenier á blé » du territoire des Ait Zerwal. Abdelkrim qui ne voulait pas de guerre avec les français, s’est vu dans l’obligation d’attaquer. Ainsi le mois d’avril 1925, commença la « marée rifaine » qui effondra rapidement tous les postes de fortification de Lyautey, permettant à Abdelkrim d’arriver aux portes de Fès;mais celui-ci ne voulait pas conquérir la capitale spirituelle du Maroc, comme cela c’était passé pour Melilla.
Le maréchal Lyautey, après avoir montré sa force et après l’avoir utilisée, avait bel et bien échoué et fût remplacé par le Maréchal Pétain. Ce dernier faisait converger les forces armées de Tunisie, d’Algérie et de France vers le Maroc, et mettait en place un plan de coordination militaire avec Primo de Rivera. Quand á Lyautey, le grand pacificateur, qui ne se souciait pas des massacres de civils par les tonnes de bombes lancées par l’aviation chrétienne, il prévoyait l’utilisation des gaz asphyxiants et des bombes incendiaires pour exterminer les « indiens du Rif ».
Le débarquement á Al Hoceima du dictateur espagnol Primo de Rivera, á la tête de la jeunesse espagnole convertie en soldats, et l’attaque des officiers français au sud, derrière 700 000 militaires, formés entre autres de tirailleurs sénégalais, de harkis algériens, de goumiers marocains, à côté des armes chimiques et des bombardements massives(de plus de 300 000 tonnes et incluant des bombes incendiaires) ont mis fin á l’espoir d’un peuple qui voulait disposer de lui-même.
Face á ces poussées, l’appel á la guerre sainte ne fût entendu ni par les fréres de l’Atlas, ni par les fils de l’Algérie d’Abdelkader. Le rêve de Mohand, de M’hamed Abdelkrim et de leur oncle Abdesslam s’est évanoui avec leur réddition en mai 1926 et la mort du dernier résistant, Ahmed Herira en 1927.
L’EXIL DES AL KHATTABI ET LES CONSEQUENCES DE LA GUERRE DU RIF
Exilés dans l’île lointaine de la Réunion, Mohand, M’hand Abdelkrim et Abdesslam El-Khettabi laissaient derrière eux un Rif aux mains des colons. Mais cette aventure si extraordinaire et si tragique ne tarda pas á produire des séquelles, qui échappaient à nos exilés.
Le gouvernement de gauche d’Espagne, élu le 12 avril 1931, refusa d’accorder l’autonomie du Rif á une délégation de nationalistes venant de Tetouan, appartenant au Comité d’Action Marocaine. Ce refus fût lourd de conséquences pour la cause républicaine pendant la guerre d’Espagne.
Face á la révolution des anarcho-socialistes, en octobre 1934, dans les Asturies, le gouvenement de droite eût recours au général Francisco Franco, lequel eût l’idée d’utiliser les combattants rifains déchus et poussés par la misére á s’engager dans le corps des « Regulares ». Connaissant bien la combativité des rifains, Franco lança les montagnards nord-marocains et les mercenaires etrangers du « Tercio » contre les mineurs et métallurgistes asturiens qui furent massacrés.
Toujours est-il que le nouveau gouvernement de gauche refusa une deuxième fois l’autonomie aux nationalistes marocains. Mais Franco proposa aux « maures » de combattre á ses côtés et, en cas de victoire, il s’engagerait á leur accorder la dite autonomie. Le 17 juillet 1936, les militaires se soulevaient á Melilla. Le 18, Franco venant des Iles Canaries, prend le commandement de l’Armée d’Afrique á Tétouan. Dix jours après, les républicains crurent á la victoire étant donné que la marine et l’armée de l’air leurs restaient fidéles, empéchant la traversée des « Regulares » et du Tercio vers le sol ibérique. Mais Franco obtint des avions des Italiens et des Allemands et la situation se renversa. L’armée du Maroc traversa le détroit de Gibraltar. Les « maures » débloquèrent les assiégés de l’Alcazar de Tolede et arrivérent aux portes de Madrid le 12 october. La victiore de Franco, devenant chef du soulévement après la mort accidentelle de Sanjurjo, fût en grande partie aux 20 000 rifains qui sont allés se venger de la défaite de la Guerre du Rif. Par contre la promesse d’autonomie est restée lettre morte.
Les rares jeunes citadins de l’époque qui ont soutenu Abdelkrim et la guerre du Rif, reprenaient le flambeau. Cette fois-ci, la lutte armée laissa la place á la « lutte politique ». Ainsi les batailles des montagnes du Rif devenaient l’embryon d’un nationalisme « arabo-musulman » mené par Abdelkhalek Torrés et Allal Fassi. La solidarité morale du parti communiste français d’alors, influença profondément un Messali Hadj qui mobilisa, à son tour, ses fréres immigrés algériens en faveur de nationalisme algérien contre la colonisation française. Un autre jeune, vietnamien militant du PCF, nommé Ho Chi Min, suivait attentivement les événements du Rif. Le 6 fevrier 1963, Mohand Abdelkrim Al Kheatabi, celui dont la légendaire épopée avait renoué avec la chaine millénaire des résistances amazighs, rendit son dernier souffle.
GUERRE SAINTE OU GUERRE DE LIBERATION?
L’ une des grandes problématiques soulevées par les historiens à propos de l’ aventure riffaine était de savoir si la guerre entreprise par Moulay Mohand était « une guerre sainte » ou « une guerre de libération ». Malgré le fait que Mohamed Abdelkrim était un salafiste convaincu de par sa formation à l’Université de Qarawiyine et qu’ il avait précisement fait appel au djihad lors de ces derniéres années à la tête de l’Etatt rifain, la Guerre du Rif était bel et bien une GUERRE DE LIBERATION par excellence, d’ un peuple qui aspirait à se gouverner par lui-même.
L’historien britannique Richard Pennell nta qu’ Abdellah Laroui n’avait pas donné d’importance à cette guerre qui avait révolutionné le monde dans les années vingt et il la considérait comme faisant partie de la résistance primaire, une sorte de rébellion rurale comme celle dirigé par Assu Ubaslam, ou Moha Hammou Zayani…Ce dernier minimisait le fait qu’Abdelkrim avait entrepris une résistance secondaire en faveur de la création d’ un Etat-Nation, même si celle-ci n’avait pas lieu dans le milieu urbain. A part de lutter contre le colonialisme, Abdelkrim aspirait à créer un Etat moderne et indépendant, similaire à la France et à l’ Espagne qui le combattaient, basé sur la « solidarité nationale », plutôt de rester sur la solidarité tribale. Ainsi, le choix de parier en faveur d’une guerre de libération vient du fait de sa volonté déterminante de ne pas occuper la ville de Melilla, avec l’intention de mettre à l’abri les enfants et les femmes de la société civile espagnole, qu’ il ne considérait pas de tout comme des infidéles (comme c’est le cas dans une guerre de réligion!).En témoigne cette fameuse lettre écrite de sa main et en espagnole au directeur du journal « La Libertad », Lui de Oteyza, le 2aût 1922: »Comme je vous ai manifesté de parole, je vous réitere par ésrit que le Rif ne combat pas les Espagnols et ne ressent pas de haine envers le peuple espagnol. Le Rif combat cet impérialisme envahisseur qui veut lui ôter sa libérté à force de sacrifices moraux et matériels du noble peuple espagnol.Je vous demande de manifester à votre peuple que les Rifains sont disposés et en conditions de prolonger la lutte contre l’Espagnol armé qui prétend lui enlever ses droits, et cependant garde ses portes ouvertes pour recevoir l’Espagnol sans armes et tant que technicien,commerçant, industriel, agriculteur et ouvrier ».
C’est ça la grande différence qui distingue Moulay Mohand des grands résistants maghrébiens tels Abdelkaderd’Algérie ou Omar El Mokhtar de la Libye ou même de son idole rifain Mohamed Charif Ameziane. Lui même l’avait dit éxplicetement, écoutons-le: »Je déclare que lorsque l’on me reproche de faire la guerre sainte, on commet une erreur pour ne pas dire plus. Le temps des guerres saintes est passé, nous ne sommes plus au moyen âge ou à l’époque des croisades. Nous voulons simplement être et vivre indépendants. Nous avons un vif désir de vivre en paix avec tout le monde et d’ avoir de bonnes relations avec tous, car nous n’aimons pas faire tuer nos enfants. Mais pour arriver à ce but désiré, à ces aspirations, à cette indépendance enfin, nous sommes prêts à lutter contre le monde entier s’il le faut. »
A part de révolutionnaire, Abdelkrim, selon l’opinion de mon distingué professeur et ami David M. Hart, il était un grand REFORMATEUR . Ce dernier n’ arrêtait pas de me rappeler que ce qu’ avait entrepris Abdelkrim de réformes sociales, politiques, réligieuses,administratives et militaires dans un laps de temps de quatre ans ne l’ a pas réussi à le faire la puissance coloniale espagnole en quanrente ans de présence au Rif.