B.M. LE REPORTER du 12 au 18 février 2004.
«L’Espagne cache les traces de sa Guerre Chimique au Rif»
Rachid Raha, ex-président du Congrès Mondial Amazigh et coordinateur du colloque explique l’importance de cette rencontre et défend la cause des victimes de la Guerre du Rif.
Le journal «Le Monde Amazigh» organise un colloque international sur le thème: «l’utilisation des armes chimiques, le cas de la Guerre du Rif, 1921-1927».
LE REPORTER: Pourquoi après tant d’années, « Le Monde Amazigh » attire l’attention sur les victimes de la guerre chimique ?
R.RAHA: Il faut savoir que toute guerre dans laquelle sont utilisées des armes chimiques est une guerre prohibée et condamnable par les traités internationaux. On a beaucoup entendu parler de la guerre préventive des américains contre Saddam Hussein, vu que ce dernier avait utilisé ces « sales et inhumaines » armes contre le peuple kurde, alors qu’on oublie que ces mêmes armes étaient utilisées auparavant chez nous dans les années vingt, contre nos populations civiles au Nord du Maroc. Notre journal « Le Monde Amazigh » estime que ce sujet est d’une grande importance pour les imazighen. C’ est pour cela qu’on a insisté à organiser un colloque sur ce thème afin d’examiner de plus prés cette question. D’autant plus que l’ Etat espagnol, l’Etat français et nos pouvoirs publics ont essayé par tous les moyens de faire disparaître toute trace de cette guerre anti-civilisationnelle « de lâches » et d’en faire taire les victimes.
LE REPORTER: Pourquoi des associations amazighs s’intéressent-elles à cette question?
R.RAHA: Une des revendications importantes des militants amazighs est la révision des manuels scolaires de l’histoire du pays et de reconnaître l’apport décisif des imazighen à l’histoire sociale du Maroc, caractérisée par la résistance aux différentes colonisations qu’ a connu Tamazgha (c’est-à-dire l’Afrique du Nord). Ce chapitre de la guerre chimique n’est qu’une étape historique, bien sûr importante, d’une guerre encore plus essentielle qu’ est la Guerre du Rif ou encore plus exactement la Guerre de Libération de Mohamed Abdelkrim El Khattabi qui réveille de plus en plus de curiosités au sein des jeunes.
Le week-end dernier, par exemple, trois associations amazighes de la région de Midar et de Ben tayeb ont organisé une table ronde sur Abdelkrim El Khattabi au même moment où se jouait le match de football entre le Maroc et l’ Algérie. Et bien, la salle était presque pleine !!!
LE REPORTER: A combien estimez-vous le nombre des victimes de cette guerre ?
R.RAHA: C’ est difficile de donner des chiffres concernant le nombre de victimes de cette guerre que Mohamed Abdelkrim El Khattabi avait dénoncée durant la guerre du Rif (1921-1927) dans une lettre de solidarité adressée aux frères algériens et tunisiens.
Selon les écrivains Juan Pando (La guerra secreta de Anual) et Sebastian Balfour (Abrazo mortal), quelques historiens espagnoles affirment l’utilisation massive de ces armes chimiques qui ont fait beaucoup de victimes. Et ce, non seulement au sein des troupes rifaines mais aussi parmi les propres soldats espagnoles qui ne savaient pas utilisé ce type d’armement.
LE REPORTER: Quelles sont les séquelles laissées par cette guerre sur les victimes?
R.RAHA: Les premières séquelles étaient de type psychologiques et qui sont profondément désastreuses sur la santé des victimes qui les ont subis à l’époque. Le psychologue Ahmed Hamdaoui abordera cette épineuse question durant ce colloque (NDLR :qui devrait avoir lieu à Nador les 14 et 15 février). En plus de cela, il y a eu des complications physiques et physiologiques qui se traduisait fondamentalement en des problèmes respiratoires, cutanés et même cancérigènes. Certains médecins avancent qu’il n y a pas une relation entre cause à effet entre les armes chimiques et les maladies tumorales. Mais des études de l’ Agence International pour la Recherche de Cancer ont prouvé que des ouvriers qui travaillaient dans des usines de l’ ypérite (c’est la substance la plus utilisée dans ces armes que les colons espagnoles appelaient Bombes X) finissaient par être des cancéreux. Un fait que personne ne peut plus cacher au Maroc c’est le fait qu’il y a un grand taux de cancéreux dans les régions rifaines.
Un médecin à Rabat m’a confessé que dans les couloirs de l’Hôpital Moulay Abdellah qui traite de la cancérologie, la majorité sont des patients rifains. Et on entend que le dialecte tamazight du Rif dans cet hôpital!!! Je n’ ai pas encore découvert une seule famille rifaine n’ayant pas un parent qui soit mort à cause du cancer. Mon propre père, un oncle et deux cousins ont été tués par cette maladie.
Je ne comprend pas pourquoi nos responsables sanitaires ne font pas de recherches dans ce sens!!!
LE REPORTER: Les victimes, peuvent-elles, après tant d’années demander une réparation?
R. RAHA: Il n’est jamais trop tard et il est de notre droit de demander des réparations. La première des choses, la société civile marocaine en général et rifaine en particulier devra demander la reconnaissance officielle de l’ Etat espagnol de ce crime contre l’Humanité contre les Rifains. Elle doit aussi présenter des excuses à cette population. L’Etat ibérique l’a déjà fait au sujet des juifs parce qu’ils étés expulsés de l’ Andalousie musulmane.
Nous sommes, nous aussi, en droit d’exiger des réparations notamment dans cette région marginalisée qu’est le Rif.
Les bases juridiques pour demander des réparations, il y en a beaucoup. Elles sont développées par Mimoun Charqi, docteur d’ Etat en droit, et l’avocat Mostapha Ben Chref lors des débats sur la question le 14 février prochain.
LE REPORTER: Les victimes sont-elles organisées dans le cadre d’une association pour défendre leurs droits?
R. RAHA: Il existe déjà une association dans ce sens, l’association des victimes des armes chimiques. Mais nous estimons que cette question ne doit pas être traitée par une seule association. Toute la société civile doit être impliquée, les associations de tout genre, les personnalités culturelles, les académiciens, les syndicats…
Lors du colloque il sera sans aucun doute question d’examiner la meilleure formule pour s’organiser afin d’être plus efficaces et plus pragmatiques.
LE REPORTER: L’année dernière une ONG a essayé d’organiser un débat sur cette question mais les autorités l’ont interdit. Pourquoi à votre avis?
R. RAHA: C’est un comportement incompréhensible et paradoxale de la part des autorités concernant cette question. Si elles continuent à adopter le même comportement je crois qu’on finira par les dénoncer en tant que complices des colons dans cette guerre chimique « interdite ».
LE REPORTER: Ne craignez-vous pas de recevoir la même interdiction?
R. RAHA: Au Maroc, on n’est pas surpris de se voir opposer de telles interdictions. Mais il faut persister et continuer à militer à briser ces tabous qui nous enferment dans le sous-développement. D’autant plus qu’ on ne fait rien d’illégal.