Le Programme des Nations Unies pour le développement a publié, le 8 septembre 2022, son rapport sur l’évolution de l’indice de développement humain dans le monde. Selon ce rapport, le Maroc figure et stagne au 123ème rang sur 191 pays en 2021, dans la catégorie des pays à « développement humain moyen ». Rappelons que l’indice de développement humain prend en compte l’espérance de vie, l’éducation et le niveau de vie.
Comment se fait-il que le Maroc n’améliore pas son indice de développement humain malgré le fait que le chef de l’Etat, le Roi en personne, depuis son accession au pouvoir, s’implique directement dans le social, notamment, avec le lancement du projet national d’initiative nationale pour le développement humain (INDH) ; étant rappelé que l’INDH compte avec des crédits de la Banque Mondiale et des aides financières de l’Union Européenne dans le cadre de l’accord de voisinage et le « statut avancé ».
Les objectifs axés sur la lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale, ainsi que la confiance des citoyens en eux et en l’avenir de leur pays, ne sont pas atteints ! Il faut croire que ces objectifs ne seront pas atteints de sitôt, même si les dépenses prévues dans le projet de Loi de Finances pour 2023 sont de l’ordre de 3,6 milliards de dirhams (plus de 320 millions d’euros).
Ce qui entrave le décollage du « développement humain » sont, sans équivoque, les mauvaises performances du Maroc en ce qui concerne la santé et l’éducation ainsi que l’échec des campagnes d’alphabétisation des adultes.
Malheureusement, les politiciens marocains, qu’ils soient de l’extrême gauche, de gauche, de centre, de droite ou de l’extrême droite, semblent ignorer que tout cela revient à la faillite du système éducatif marocain, à cause de cette manie des différents ministres de l’éducation nationale à continuer à imposer une obsessive politique d’arabisation idéologique. Une obsolète politique qui continue à marginaliser et dévaloriser l’importance de la langue maternelle amazighe, de l’identité autochtone amazighe et l’histoire millénaire amazighe des Marocains, malgré la reconnaissance constitutionnelle de l’amazighe depuis plus de onze années.
Récemment, notre ONG, l’A.M.A, a interpellé l’actuel ministre de l’éducation nationale sur l’urgence de généraliser l’amazighe dans le préscolaire et dans l’éducation primaire[1], afin de stopper les abandons scolaires qui continuent à dépasser les 330 000 élèves annuellement, de réduire l’échec scolaire, d’améliorer le taux de déperdition scolaire, d’augmenter les compétences de base de lecture et d’écriture … Mais, en vain !
Tant que l’Etat marocain n’affichera pas une effective volonté politique d’intégration de la langue amazighe dans le système éducatif et de travailler en faveur de sa généralisation, comme l’y oblige l’actuelle Constitution et la loi organique N°26.16 du 12 septembre 2019, le Maroc continuera à sombrer fatidiquement dans le sous-développement, et comme nous l’avons souligné à Monsieur Benmoussa, son « nouveau modèle de développement » sera incontestablement voué à un échec annoncé.
Avant de rendre compte de ce que la politique d’arabisation est un moyen de reproduction des classes sociales et des populations défavorisées (II), il convient de s’interroger sur la relation entre les langues nationales au Maroc, la régionalisation et la pauvreté (I).
1- La régionalisation, la pauvreté et les langues nationales
Selon une récente étude du Haut-Commissariat au Plan (HCP)[2], 3,2 millions de personnes supplémentaires basculent dans la pauvreté (1,15 million) et dans la vulnérabilité (2,05 millions) en expliquant que 45% de cette détérioration sont dus aux conséquences de la pandémie de la Covid-19 et 55% à cause de la hausse des prix et en raison de la guerre en Ukraine. En fait, les inégalités sociales n’ont jamais pu être dépassées, à cause d’une politique éducative qui permet la reproduction des classes sociales et la pauvreté.
Si on compare, la carte linguistique élaborée par le recteur de l’Institut Royal de la Culture Amazighe et la carte de la pauvreté confectionnée par le HCP, on se rend compte bizarrement que la pauvreté touche indéniablement les régions amazighophones plus que les régions arabophones!
Le HCP le reconnaît fortement lorsqu’il avance, par rapport à la contribution régionale à la création du PIB en valeur, que les régions arabophones de Casablanca-Settat, de Rabat-Salé-Kénitra et des 3 régions du Sahara marocain (Laâyoune-Saguia al Hamra, Guelmim-Oued Noun et de Dakhla-Oued Ed-Dahab) ont créé 71,2% de la richesse nationale, alors que moins de 30% pour les régions à majorité amazighophone[3].
Quant aux transferts des Marocains résidant à l’étranger (MRE), ils ont atteint un niveau record de 93,7 milliards de DH en 2021, marquant ainsi une hausse de 37,5% en glissement annuel, selon le rapport annuel de Bank Al-Maghrib (BAM) contre 68,18 MMDH une année auparavant. Selon l’Office des changes, ces transferts ont déjà atteint plus de 47,04 milliards de dirhams (MMDH) au titre du premier semestre de 2022. Ce que nous devrons savoir, c’est que la majorité des MRE sont originaires des régions amazighophones, plus concrètement de Souss, de Rif et du Moyen Atlas, et que ces transferts ne bénéficient pas leurs régions périphériques enclavées !
En plus, la régionalisation administrative adoptée par le Maroc, en contradiction au Plan d’Autonomie proposée à l’ONU pour le règlement du Sahara, ne contribue guère à résoudre les inégalités régionales, tant qu’elle ne se base pas sur l’autonomie politique des régions historiques, selon le modèle que notre ONG défend en tant «Manifeste de Tamazgha»[4].
2- La politique d’arabisation comme moyen de reproduction des classes sociales et des populations défavorisées
Comment une certaine élite au pouvoir au Maroc, profondément attachée à l’idéologie arabo-islamique, est arrivée, à travers l’école, à bloquer, de manière sournoise, la mobilité sociale ? Tout simplement grâce à la « politique d’arabisation idéologique » du système éducatif qu’elle s’obstine à imposer depuis l’indépendance jusqu’à nos jours. L’objectif de celle-ci avoué par le mouvement national et les intellectuels arabistes, à leur tête Allal El Fassi et Mohamed Abed Al-Jabri, est de provoquer un génocide linguistico-culturel à l’encontre de la langue autochtone amazighe, et de réduire ses locuteurs à une infime minorité. Maintenant que celle-ci est reconnue comme langue officielle, les hommes politiques et intellectuels organiques pan-arabistes et islamistes, ainsi que les responsables ministériels font tout leur possible à mettre des bâtons dans les roues contre sa promotion et sa généralisation dans le système éducatif du primaire à l’université, comme le recommandent les instances des Nations Unies à travers le Comité du Pacte international des Droits Economiques, Sociaux et Culturels, en octobre 2015[5], et la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, en décembre 2018[6].
Comme le souligne Hassan Aourid dans sa thèse de doctorat d’Etat[7] : « Plus grave d’après Mohamed Chafik, la politique d’arabisation est une manœuvre, voire un complot, pour faire des Amazighs de continuels vassaux et de les maintenir dans la dépendance et les tâches subalternes, alors que les promoteurs de la langue arabe mettaient leurs enfants dans le système éducatif français qui leur assurait poste de choix et promotion sociale ». Une triste et fâcheuse réalité confirmée par l’analyse de Mohamed Boudhan[8], qui assure que : « le véritable rôle de l’arabisation, est de préserver les prérogatives et la suprématie d’une telle petite classe fortunée, et d’établir des « frontières » infranchissable entre l’élite et la masse. Il fallait « neutraliser » le rôle de l’enseignement général et gratuit comme moyen de promotion et d’ascension sociale. L’arabisation avait pour but de neutraliser l’ascension des couches défavorisées ». « (…) la fonction véritable, mais cachée, de l’arabisation, est d’établir et de maintenir une division sociale du travail, régie par des rapports de classe : il y a, d’une part, les emplois nobles-tâches consistant à commander, telles que : la gestion, la direction, la supervision, la planification et le contrôle – exercés par la haute classe qui possède, grâce à sa fortune, un niveau d’instruction utile et excellent, la rendant apte à ces hauts postes. Il y a, d’autre part, les emplois subalternes de second rang – le plus souvent des tâches d’exécution et de production – laissés aux classes défavorisées, dont les conditions économiques ne permettent pas d’avoir accès au même type et au même niveau d’instruction utiles et excellente, matériellement et symboliquement. Ces classes n’ont accès qu’à l’enseignement gratuit et arabisé, qui n’a pas de valeur sur le marché des emplois estimables et nobles ».
En fin de compte, cette néfaste politique d’arabisation idéologique, que nous avons eu le privilège de dénoncer à l’UNESCO[9], ne fait que continuer à perpétuer l’œuvre de la politique de discrimination de la colonisation française que Mohamed Benhlal rappelle dans son étude sur le collège d’Azrou[10] en soulignant que : « le statut et l’organisation de l’enseignement des écoles primaires indigènes consacra la discrimination ethnique et sociale déjà en vogue depuis la timide apparition de l’enseignement moderne au Maroc : les « écoles de fils de notables » destinées à l’élite musulmane et les « écoles populaires » réservées à la masse ».
En plus cette politique d’arabisation idéologique, vue son retentissant échec, s’est virée en un processus à produire du radicalisme religieux et inclus du terrorisme islamiste, comme nous l’avons signalé aux eurodéputés en mars 2019[11] et au président français le 10 décembre 2020[12].
Considérations finales
En définitif, tant que les tenants du pouvoir, les ministres de l’actuel gouvernement marocain et plus particulièrement celui du secteur de l’éducation national ne prennent pas au sérieux « la promotion de l’amazighité en faveur d’une société démocratique, plurielle et moderniste », selon la volonté Royale exprimée à Ajdir, le 17 octobre 200 et selon les propos de l’actuel président du gouvernement Monsieur Aziz Akhennouch[13], tant qu’ils ne considèrent pas le dossier de l’amazighité comme une « urgence et une priorité nationale», tant qu’ils ne se précipitent pas à généraliser l’enseignement de la langue amazighe du préscolaire à l’université, tant qu’ils ne l’intégreront pas dans les campagnes d’alphabétisation des adultes, au sein des MRE et des affaires religieuses, tant qu’ils n’enclencheront pas une authentique et volontariste « politique de discrimination positive » en faveur de l’inclusion de l’amazighe au sein de toutes les institutions administratives, audio-visuelles, judiciaires et autres, le Maroc ne réussira jamais son décollage économique, son développement humain, le « bien-être social » de sa population et la démocratisation tant désirée.
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[2] Journal Le Matin du 14/10/2022.
[4] http://amamazigh.org/wp-content/uploads/2018/10/AMA_MANIFESTE-DE-TAMAZGHA_5-langues.pdf
[7] Hassan Aourid. Substrat culturel des mouvements de contestation au Maroc ; analyse des discours islamiste et amazighe. Thèse de Doctorat d’État. Université Mohamed V, Rabat 1999.
[8] Mohamed Boudhan. L’arabisation de l’enseignement : un subterfuge pour préserver les de classe. Revue Tifinagh n°7, Septembre, Rabat 1995.
[10] Mohamed Benhlal. Le collège d’Azrou, la formation d’une élite berbère civile et militaire au Maroc. Editions Karthala et IREMAM, Paris 2005.
[13] https://atalayar.com/fr/blog/le-fellah-amazigh-d%C3%A9fenseur-du-tr%C3%B4ne