L’Indépendant (Maroc), Propos recueillis par Mustapha Antara Traduit de l’arabe par Abdelhakim HAMDANE.
« une autonomie et un Parlement régional sont nécessaires au Maroc »
« A l’occasion des élections, tous les partis politiques se sont mis à parler Amazigh. Même le Parti de l’Istiqlal, réputé pour son hostilité envers l’Amazigh, n’a pas manqué à la règle! ».
« Désormais, tout individu tentant de s’opposer à l’anarchisme et l’injustice qui caractérisent les institutions du pays, est aussitôt accusé de coopérer avec les services secrets étrangers ».
Quelle évaluation faites-vous du dernier congrès du Congrès mondial amazigh déroulé en France au mois d’août?
Comme vous le savez, le congrès s’est tenu dans les délais prévus à cet effet, malgré les entraves des autorités françaises qui n’avaient pas délivré, à la majorité des militants marocains et à aucun militant algérien, le visa d’entrée en France. Ceci n’a pas empêché le congrès de se dérouler dans de bonnes conditions, dans la mesure où la présence de nombre de militants vivant à l’étranger était considérable.
Les travaux de ce congrès ont abouti à la constitution d’un bureau fédéral réunissant toutes les communautés amazigh excepté les Libyens. Découlant du bureau fédéral, le bureau mondial (bureau exécutif) englobe des militants amazigh reconnus pour leur militantisme et leur dynamisme dans la défense de l’Amazighité et des droits de l’Homme en général.
En somme, je suis satisfait des travaux du congrès et des conditions dans lesquelles il s’est déroulé. Notamment après l’adoption à l’unanimité du rapport moral qui, malgré le manque de moyens financiers, comprend amplement de projets réalisés par le bureau, que j’ai eu l’honneur de présider durant 3 années.
A partir de ce constat, je suis optimiste et j’ai la certitude que le nouveau bureau arrivera à réaliser ce que nous n’avons pu accomplir. Surtout lorsque l’on sait que ce bureau travaillera dans des conditions meilleures, grâce au procès gagné par le Congrès contre Mabrouk Ferkal, chose qui atteste de la légalité de cette organisation.
Je suis optimiste également car le Congress mondial amazigh est présidé par l’Algérien Lounis Belkacem, lequel est assisté de deux Marocains, Khadija Boulmdarate en tant que secrétaire générale et Mohamed Handayne en qualité de président adjoint.
Vous avez antérieurement revendiqué, à travers un entretien accordé à un journal de Rabat, l’autonomie de certains sites géographiques (le Rif.). Pouvez-vous éclaircir avec précision cette hypothèse qui a suscité de vives réactions au niveau national ?
On parle inlassablement de régionalisation et de décentralisation au Maroc, mais en général, on ne fournit pas d’explication posée et claire à ces expressions et ces politiques. Lorsqu’on voit la réalité que vivent les Amazighs dans les régions écartées, loin de l’axe Casablanca-Rabat, on découvre qu’ils sont réellement marginalisés sur tous les plans, principalement sur le plan économique. Cela les pousse inévitablement à l’exode ou à l’expatriation. Cependant, les Amazighs originaires de ces régions, s’étalant sur tout le territoire marocains, contribuent efficacement à l’économie du pays, surtout à travers les devises qu’ils ramènent de l’étranger. Il faut aussi souligner que la majorité d’entre eux ont fait l’objet d’une marginalisation politique et d’une répression sévère, notamment dans les régions du Rif, le Souss, le moyen Atlas et le Sud-Est, suite aux événements de Aadi Oubihi.
Cette répression et cette marginalisation ont poussé les autochtones à quitter leur pays à la recherche du travail ailleurs. De surcroît, les fonds qu’ils envoient sont investis dans d’autres régions.
Nous ne nions pas la création de certaines institutions en vu de développer ces régions, telle l’agence de développement des provinces du Nord.
Toutefois, ce que nous reprochons à cette agence, c’est la grande distance qui la sépare de la région dont incombe le développement. Récemment, il y a eu la création de l’agence de développement des provinces du Sud. Cependant, la raison de sa création était plutôt politique, en l’occurrence le dossier du Sahara, en omettant que d’autres provinces sont plus touchées par la pauvreté, comme l’Atlas et le Tafilalet, des régions qui nécessitent l’intervention urgente de ces agences de développement afin de stopper l’hémorragie dont elles souffrent.
C’est pour cela que j’appelle à l’autonomie de ces régions, qui sera en harmonie avec le Centre, car il a été prouvé que leurs problèmes sont méconnus par les habitants de Rabat, en majorité des fonctionnaires qui ignorent tout des soucis que vivent les gens dans les régions marginalisés.
De plus, il ne les approchent que pour imposer leurs décisions de façon autoritaire.
Les autochtones cernent leurs problèmes mieux que quiconque, et de ce fait, ils connaissent pertinemment les domaines où ils doivent investir et les ressources naturelles dont dispose leur région. Pourquoi donc ne pas leur accorder leur propre autonomie ?
Ceci est à notre avis une condition primordiale pour que le Maroc se débarrasse de la situation économique délabrée qu’il traverse.
La revendication de l’autonomie revêt donc un aspect économique avant toute autre considération. Toutefois, on ne pourrait envisager une autonomie économique en occultant le côté politique, vu qu’ils sont corrélés. Il serait donc impératif de créer un Parlement régional, émettant des décisions relatives à la région qu’il gère, tout en conservant le Parlement national.
On parle souvent au Maroc de la possibilité d’accorder son autonomie au Sahara dans le cadre de l’unité nationale. Cette solution, à notre avis, est non seulement dans l’intérêt du peuple sahraoui uniquement, mais également dans l’intérêt de toutes les régions du Maroc. Evidemment, d’autres régions n’ont aucun intérêt à ce que toutes les richesses du pays soient orientées vers l’investissement dans l’unique région de Casablanca.
Quant aux régions qui doivent bénéficier de l’autonomie, ce sont celles dont les spécificités culturelles, linguistiques, historiques et environnementales sont distinctes, comme par exemple la région du Rif qui s’étend jusqu’aux frontières avec l’Algérie, le Souss, le Tafilalet (région du Sud-Est), le moyen Atlas, Tamesna (de Casablanca à Safi), Tadla et Tensift, pour finalement englober tout le territoire national. Les régions suscitées sont dotées de ressources naturelles singulières, mais qui sont malheureusement exploitées de manière épouvantable. Les habitants de ces régions doivent les défendre, chose qui ne pourra se réaliser que si on leur accorde leur autonomie.
Le figure politique de cette autonomie s’articule autour de l’implication et la consultation des habitants locaux dans toute prise de décision concernant leur région, sans se limiter à exécuter ce que leur dicte le Centre. Cet appel à l’autonomie n’est pas à confondre avec une dissidence ou un éclatement de l’unité nationale comme l’interprètent certains.
Que voulez-vous dire avec « autonomie »?
En réalité, on veut appliquer ce système au Sahara marocain dans le cadre de l’unité nationale, mais les responsables n’ont pas suffisamment expliqué à l’opinion publique la signification de cette autonomie. Chose qui a engendré cette absconse et cette confusion entre autonomie et séparatisme.
Or, on ne peut appliquer ce système dans une région en faisant abstraction des autres, car cela va établir une discrimination entre les régions marocaines. De plus, l’autonomie est un système existant dans les pays démocratiques tels l’Espagne, la Suisse et l’Allemagne. Il est à souligner que feu Hassan II avait évoqué le modèle allemand et avait tenté de l’appliquer à ce qui était communément appelé « décentralisation ».
Par ailleurs, l’autonomie est une décentralisation régionale, où les autochtones disposent de la possibilité de gérer leurs affaires administratives, économiques, politiques, culturelles et sociales dans le cadre de l’unité nationale. Ce qui n’a rien à voir avec la décentralisation folklorique en vigueur actuellement au Maroc, dont le seul but est d’organiser les festivals musicaux.
Les régions qui devraient disposer de ce système ne peuvent être celles résultant du découpage régional effectué par l’ex-ministre de l’Intérieur.
Lequel découpage n’était animé que par des visées électoralistes et par le soucis sécuritaire. Comme le Maroc est un pays amazigh par excellence, ce système devrait englober toutes les régions, conformément aux instructions du Roi Mohammed VI contenues dans la lettre de développement adressée au Premier ministre, où il était question de la mise en place de neuf guichets d’investissement.
Vous avez été accusé, à travers les thèses que vous défendez, de servir des intérêts étrangers, espagnols notamment, que répliquez-vous face à cette accusation ?
Il est certain que ces derniers jours, dans ce pays cher, tout individu tentant de s’opposer à l’anarchisme et l’injustice, est aussitôt accusé de coopérer avec les services secrets étrangers.
Pour preuve, les accusations dont les journalistes du Journal Hebdomadaire et de Demain Magazine font l’objet.
Source : L’Indépendant (Maroc) décembre 2002