Le jeune roi du Maroc, Mohamed VI, dans son discours de 17 octobre dernier, prononcé dans la localité d’Ajdir de la province de Khénifra, a relevé la reconnaissance de l’amazighité pour la première fois dans l’histoire contemporaine du pays. De cette façon, le roi l’autorité suprême de l’Etat, reconnut l’identité Amazigh comme partie intégrante et indissociable de l’identité plurielle du Maroc, en réitérant ce qui a été confirmé lors de son discours du trône , lequel éveilla un grand débat national : l’amazighité est une affaire de tous les marocains, et sa promotion est une responsabilité nationale. Des déclarations très braves et salutaires,quand on sait que son défunt père, Hassan II, n’a pas tenu ses promesses de 20 Août 1994 en ce qui concerne l ‘enseignement de la Tamazight. Non plus, le premier ministre, Abderrahmane Youssoufi, n’est arrivé à concrétiser aucun de ses projets mentionnés lors de son discours d’investiture en faveur de la promotion de la culture amazighe, enracinée et millénaire.
Ce que nous voulons présenter maintenant n’ est qu’une modeste approche d’analyse des relations existantes entre la monarchie marocaine et les imazighen. En premier lieu ,il faut signaler que c’est incompréhensible qu’au Maroc, l’Etat a ignoré les droits linguistiques et culturels des Amazighs depuis 1956, alors que ces derniers ont proportionné de grands et valeureux appuis à la monarchie, d’une part en prenant les armes pour lutter pour l’indépendance du pays et rendre possible, le retour de l’exil du roi Mohamed V. Et d’autre part, les Imazighen de l’Atlas et du Rif, ont réussi à créer tout un parti politique en suivant les recommandations du roi (le Mouvement Populaire), qui a cassé le monopole politique auquel aspirait le Parti de l’Istiqlal.
Si quelques uns des officiers imazighen se sont aventurés à provoquer des coups d’Etats au début des années soixante-dix comme le rifain Ababou, qui a initié le coup d’Etat de 1971, ce fut comme une sorte de revanche de la violente répression que le parti de l’Istiqlal avait déchaîné contre les rifains, en envoyant le prince Hassan II pendant les fatidiques années de 1958 et 59, un fait qui a été dévoilé par un ancien prisonnier de Tazmamart, Mohamed Raiss, dans son livre (Mémoires de Mohamed Raiss) . Néanmoins, le coup d’Etat suivant manqué entrepris par le général Oufkir, en 1972 se réalisa avec la complicité de figures éminentes de la gauche socialiste comme le propre premier ministre, un fait que nous a confessé personnellement le cousin du leader rifain Abdelkrim, le Dr.Omar Abdesslam El Khattabi, qui a authentifié la lettre de problématique opposant, Fkih EL Basri. Pourquoi la gauche s’est alliée avec ce général formé par le colonialisme français, qui a réprimé sauvagement les rifains en 1958 et 1959 ? En réalité, la stratégie du parti de Youssoufi, l’USFP (antérieurement UNFP) comme aile gauche de l’Istiqlal, était d’imposer un régime dictatorial, inspiré du baasisme de l’Iraq et de la Syrie et animé par les discours enflammés de Jamal Abdel Nasser, mentor du panarabisme proche-orientale. Au fond, la préoccupation majeure des panarabistes marocains se centrait à anéantir l’identité Amazighe, puisque les imazighen n’étaient non seulement des adversaires politiques mais aussi leurs ennemis qu’ils devaient éradiquer du panorama national. Pour cette raison, ils furent qualifiés de collaborateurs avec le colonialisme français. Leur stratégie était l’arabisation de toutes les sphères de la vie publique (l’administration, l’éducation, moyens de communication, etc.) ayant comme objectif primordial la marginalisation des imazighen dans tous les domaines , y compris l’aspect économique. Cette dernière marginalisation provoqua la rébellion du Rif. Pour cela ils ne doutèrent même pas à liquider physiquement des leaders amazighes , comme Abbas Messaudi, chef de l’armée de libération du Nord, qui fut assassiné par ordre du célèbre leader Mehdi Ben Berka. Ceci fut précisément l’étincelle qui déchaîna le soulèvement des rifains contre l’Istiqlal.
Mais le principal objectif des assassinats des leaders amazighes de l’armée de libération ,- qui maintenant commencent à sortir à la lumière à travers la nouvelle presse indépendante du pays (y inclus Le Monde Amazigh)- était de convertir l’Istiqlal ou l’USFPen un parti unique au sein duquel se concentreraient tous les pouvoirs politiques, comme avait fait Habib Bourgiba en Tunisie. Le livre très intéressant de Mustapha Aarab qui vient d’apparaître sous le titre de « Le Rif entre Le trône, l’armée de libération et le parti de l’Istiqlal » nous dévoile plusieurs réalités historiques de ces premières et difficiles années de l’indépendance du Maroc. Les leaders du l’Istiqlal n’ont pas accompli leurs objectifs , puisque le roi Mohamed V a pu réussir à créer en 58 un parti qui agglutinait les notables imazighen du milieu rural sous le leadership d’un capitaine de l’armée coloniale française : le Mouvement Populaire de Mahjoubi Aherdan (créé avec le Dr. Abdelkrim Khatib). Cette même année 1958 une nouvelle loi de libertés publiques est dictée pour favoriser le multipartisme.
Devant ce fait, nous nous demandons si le multipartisme a favorisé les imazighen et la défense de leurs droits ? Malheureusement, la réponse est négative. La grande partie des partis marocains actuels (USFP, OADP, PSD, FDS,Istiqlal, PDC, PADSÂ?) d’origine urbaine, surgit à partir de successives divisions de l’Istiqlal, héritant presque toujours la même idéologie discriminatoire envers l’amazighité ,d’une part. Et d’autre part, les partis implantés fondamentalement dans le monde rural, de base électorale amazighophone, comme les dérivés du Mouvement Populaire (MPDC,MNP et MDS , sans compter avec les partisans du Bouazza Iken, de Dr. Najib Wazzani et de Chakir Achahbar) et les partis administratifs (RNI, UCÂ?), n’ont jamais assumé les véritables revendications amazighes. Ils se prêtaient uniquement à collaborer avec les anciens ministres de l’Intérieur, comme Dris Basri, afin de leur permettre de fabriquer des majorités électorales, et en contrepartie leurs intérêts personnels étaient favorisés au détriment du l’intérêt général des populations rurales.
L’une des clés de la monarchie de Hassan II pour renforcer son pouvoir absolu était le jeu auquel se prêtaient ces formations politiques dans le milieu rural. Ainsi le décrit parfaitement Mustapha El Qadyri dans son excellente thèse « Maroc :L’Etat national et les berbères », quand il affirme : « grâce aux ‘Berbères de la politique’, le roi a éliminé l’Istiqlal de son rôle de monopole de la représentation. Après l’éclatement de celui-ci, le roi a trouvé dans les ‘Berbères de la violence’ le principal atout pour réduire les mouvements sociaux naissant de l’activisme politique des militants de l’U.N.F.P. et a fait des militaires les principaux agents de commandement dans l’administration territoriale ». Selon El Qadyri, le Mouvement Populaire ressemblait plus à un syndicat de notables qu’un parti politique. Celui-ci avait réussi à regrouper au sein de ces cercles les élites traditionalistes rurales (que le protectorat mobilisait, d’ailleurs en sa faveur), et qui se sont révélés de grands collaborateurs du Makhzen dans le maintien de l’immobilisme politique des structures sociales, tout en essayant de récupérer à chaque fois toute contestation sociale amazighe (même s’elle est que simplement culturelle).
Le premier ministre, Abderrahmane El Youssoufi, avait affirmé dans un article ayant comme titre « Le Maroc :la transition démocratique » paru dans El Pais (13/8/2001) que le pays se dirigeait vers un Etat de droit de type européen. Il a voulu nous vendre que son parti, l’USFP, est le seul qui puisse assumer la noble mission de la transition démocratique, quand sa formation politique – d’ailleurs comme les autres partis traditionnels – est submergée dans une profonde crise interne, suite à la falsification de son VI congrès, aux révélations de l’agent Boukhari sur le fait que 70% de sa directive est composé d’agents secrets, et par la dissidence des partisans d’Amaoui qui ont consommé une n-ième divisionÂ? Toutefois, le succès de la transition vers la démocratisation effective du pays, loin de cette politique de changer tout pour que rien ne change, a besoin nécessairement d’un parti fort – ou d’un groupe de partis ou encore d’un mouvement – qui aille une crédibilité et un courage pour conduire cette mission à laquelle aspire le peuple marocain, et surtout ses jeunes ;et l’USFP est sans doute incapable de le devenir. Les seules mouvements qui émergent avec force dans l’actuel carte politique sont incontestablement les islamistes et les amazighistes. Les islamistes, agglutinés autour du parti PJD et du chef Abdeslam Yasin, ne pourront pas mener le pays vers une société démocratique et moderne. Il suffit de se souvenir de la fameuse manifestation de Casablanca contre le Plan de l’intégration de la Femme au développement. Les imazighen peuvent -ils constituer cette force qui mènerait cette tant espérée transition démocratique vers ses vrais objectifs ? La vérité, c’est que, au moins dans le milieu urbain , ont surgi de nouvelles formations politiques qui pourraient constituer une alternative à ces partis traditionnels et administratifs( comme les partis de Lahjouji, Ziane, Belhaj ou la nouvelle Gauche Socialiste Unie), par contre dans le milieu rural, habité majoritairement par des amazighophones, les partis traditionnels sont encore bien implantés et qui ont constitué -et constituent encore- les forces les plus conservatrices, dévouées au vieux système du Makhzen qui résistent à n’importe quelle changement ou réforme de la vie politique.
Comme l’affirme le journaliste Ali Lmrabet « les berbères sont à l’expectative, ils ne connaissent pas vraiment leurs vrai force ». Il a parfaitement raison ,puisque si les imazighen arrivent à en prendre vraiment conscience, ils pourront arriver à créer cette organisation politique ou mouvement de masses qui constituerait cette force alternative et nécessaire pour mener à bon terme la transition démocratique tant attendue. La nouvelle élite amazighe, jeune et bien formée intellectuellement, plus liée à l’Europe démocratique qu’au Proche Orient autoritaire, désirent ardemment un système démocratique, de même type qu’il y a dans l’Etat espagnol ou allemand. Au moins dans ces deux pays il y a une vraie décentralisation de la région, qui permet le développement économique, social et linguistico-culturel de chaque région, définie par ses caractéristiques géographiques, historiques, eco-climatiques . Néanmoins, ils refusent une décentralisation artificielle de 16 régions qui n’ont aucune faculté de décision politique ni prérogatives financières pour prendre des initiatives propres et déployer leurs capacités de développement local.
La classe politique marocaine, gérantocrate et dépassée, s’est précipitée à donner une simple interprétation du discours royal d’Ajdir, qui s ‘ajuste très bien à sa paresse intellectuelle et idéologique, en ne retenant que la phrase de la non politisation de tamazight. Ceci révéla son instinct de nulle volonté de changement ou de réforme, face aux urgentes demandes de la jeunesse marocaine, prisonnière des réseaux de l’immigration clandestine qui leur propose des paradis après le détroit de Gibraltar ou de faux emplois comme le cas de 30000 postes d’une société émirati. Mais il y a un fait probant : le roi Mohamed VI a affirmé que l’amazighité est une responsabilité nationale.Une responsabilité national comme l’est la question du Sahara. Cette classe politique parle tout le temps du Sahara, alors que dans le cas de l’ amazighité ( al-qadiya al-amazigiyya) elle veut enterrer rapidement son débat en insistant sur la politique ratée de l’assimilation (de l’arabisation idéologique !) Quelques uns ont interprété l’initiative du roi en faveur de la tamazight comme une forme de ‘makhzeniser’ une partie de l’élite du mouvement culturel amazigh, qui peut être parfaitement le cas. Au fond, le roi pourrait avoir pris cette initiative comme une forme de stimuler la confiance des imazighen et les encourager pour qu’ils s’impliquent d’avantage dans le décollage économique que nécessite le pays, surtout que la bourgeoisie du Fez n’arrête pas de sauver ses épargnes vers les banques suisses, canadiennes et américaines et que l’ancienne élite formée par Allal El Fassi est de plus en plus impliquée dans des scandales financiers qui ne cessent de flotter à la surface.
Peut-être que c’est pour cette raison que le roi a nommé à la tête du Ministère de l’intérieur un entrepreneur soussi d’Essaouira afin de faire marcher les guichets régionaux de l’investissement. No obstant, cette politique ne pourrait avoir de résultats positifs que s’elle arrive à impliquer activement les imazighen dans le changement de leurs mentalités et de leurs coutumes politiques. Dans le cas où le vrai objectif de créer cet Institut Royal de la Culture Amazighe – appuyé par l’article 19 de la Constitution, qui nécessiterait être réformé si vraiment nous voulons aspirer à un vrai Etat monarchique de droit et de style européen – est de condamner au silence les militants amazighes, ceci constituerait sans doute un appui implicite aux islamistes radicaux. Qu’en le veuille ou non, l’unique force qui pourrait freiner la vertigineuse ascension de l’idéologie radicale islamiste est celle que pourraient développer les militants amazighes. Ou sinon, nous nous dirigerions vers une situation semblable à celle vécue par l’Algérie avant de tomber dans le labyrinthe de la violence. La situation actuelle du Maroc est préoccupante pour la balkanisation politique : chaque semaine on annonce la création d’un nouveau parti politique qui n’a de préoccupation que le jour des élections.
En plus, pour ces prochaines échéances électorales l’appel des militants amazighs (Congrès Mondial Amazigh, Groupe d’Action Amazigh, Réseau Amazighe pour la Citoyenneté, l’association du Manifeste Amazigh, Conféderation TADAÂ?) à la non participation est d’une importance capitale pour que les imazighen prennent conscience que la Constitution qui régie le Maroc ne reconnaît même pas leur propre existence , malgré le fait qu’ils constituent la majorité de la population de ce pays ;et il n’est plus question de continuer à cautionner encore leur marginalisation par des politiques importées du Proche Orient arabe,et qui ont sombré le pays dans une crise économique sans égale dans son histoire !!!
La vieille politique du Makhzen, qui persiste encore à s’appuyer sur les élites politiques traditionnelles, rétrogrades et médièvalistes est vouée de manière catégorique à accumuler plus d’échecs. La jeunesse amazighe a devant elle un grand défi à relever s’elle veut aspirer à vivre dans un Etat moderne et ouvert, c’est celui de s’impliquer de manière plus déterminante, en s’organisant politiquement, dans le destin de leur pays, en substituant la vieille élite rurale clientéliste. Par ce que les vents de démocratisation en Tamazgha viennent toujours de ses montagnes et il est temps que les vieux fidèles sujets de « la monarchie absolutiste » soient écartés de la scène politique par les jeunes citoyens défenseurs de l’Etat de droit.
(*) Publié dans LE MONDE AMAZIGH N° 26 du 15 septembre 2002, traduit de l’espagnol par M.L. La version espagnole, consultez : http://elguanche.net/monarquiaeimazigen.htm
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