ASSAHIFA, Propos recueillis par Hussein Majdoubi. Le 7 au 13 juillet 2000
« Le Maroc vit une période de changement politique difficile à définir. L’essentiel, c’est qu’il s’y produit des changements importants »
« La société civile désire une monarchie constitutionnelle selon les termes de la citoyenneté (une monarchie des citoyens) et non pas une monarchie de sujets, basée sur des rapports de suggestion ».
« Les partis de gauche réagissent envers la question amazighe que d’une optique culturelle et d’une stratégie électorale«
Hussein Majdoubi: On parle dans les milieux amazighes de la nécessité de créer un parti politique qui représente les imazighen. Pourquoi pose-t-on précisément ce problème au moment où le Maroc est entrain de vivre une période de transition, de passage d’une ancienne époque vers ce qu’on appelle la nouvelle ère ?
Rachid Raha: Le Maroc vit une période de changement politique difficile à définir. L’essentiel, c’est qu’il s’y produit des changements importants. Il suffit de remarquer l’apparition notoire des islamistes, l’existence d’une gauche radicale importante en cours de réorganisation et la crise structurelle à laquelle sont entrain de vivre les partis de l’administration (ceux qui étaient créées artificiellement par l’ex ministre de l’Intérieur, Mr. Driss Basri). La société civile désire une monarchie constitutionnelle selon les termes de la citoyenneté (une monarchie des citoyens) et non pas une monarchie de sujets, basée sur des rapports de suggestion. Cela exige la création de nouveaux partis politiques et la modernisation des concepts des anciennes structures politiques. Dans ce cadre, il existe un nombre considérable de la population amazighe qui ne se retrouve pas représenter par ces partis politiques actuels. De là, le besoin de constituer un parti pour les imazighen. Surtout que le mouvement culturel amazighe se distingue de fait qu’il a produit une élite assez large formé par des académiciens, des étudiants et des jeunes de professions libérales. En outre, c’est un processus historique que le mouvement culturel se transforme en politique. J’insiste sur ce fait, vue que les imazighen sont marginalisés par des décisions politiques, et la réponse à ce fait ne devrait étire que politique. Actuellement, le mouvement amazighe ne possède que des associations culturelles qui se limitent à publier des communiqués et à convoquer rarement des concentrations, c’est pour cela il faut un cadre politique pour répondre à ce qui marginalise politiquement la question amazighe.
Hussein Majdoubi: 400 personnes des défenseurs de l’amazighité ont signé la Charte de Mohamed Chafiq qui a été livrée au souverain marocain, le roi Mohamed VI. Peut-on considérer cette charte comme base pour créer un cadre politique? Vous croyez pas que derrière cette charte il y a la main de palais, sachant que Mohamed Chafiq a des relations étroites avec ce palais et il a exercé comme directeur du collège royal, et par conséquent cette idée de construire un cadre politique afin d’encourager les imazighen se fait dans le but de jouer un contrepoids contre les islamistes, vu que la gauche s’est révélée incapable de le faire?
Rachid Raha: La charte n’est pas de tout suffisante pour établir un cadre politique. Par contre, de point de vue scientifique, elle offre une très bonne révision de l’histoire du pays et elle reprend les principales revendications de mouvement amazighe. Pour créer un parti, il faut avoir un projet de société bien défini à offrir, et il y a déjà ceux qui sont entrain de préparer un avant-projet pour le présenter au prochain congrès national amazigh, prévu pour l’année prochaine. L’idée de considérer le régime derrière ce parti pour faire face aux islamistes n’est qu’une inutile fabulation et constitue une de ces rumeurs gratuites qui se font de manière abondante au Maroc. L’amazighité est une question nationale qui intéresse tout un peuple, qui a été marginalisé sur tous les plans tout au long de son histoire, et qui a fait l’objet de la négation de son identité. Je souligne que l’amazighité est devenu un fait et une réalité fortement présentes dans le champ politique marocain. C’est pour cela que la création d’un parti politique n’est qu’une revendication de mouvement associative, de passer à la phase politique, après avoir pris conscience des limitations de travail culturel.
Hussein Majdoubi: La Constitution marocaine interdit l’établissement d’un parti sur des bases ethniques ou religieuses. D’autre part, on sait que le mouvement amazighe est très hétérogène, il intègre une population variée, constituée par les habitants du Rif, de l’Atlas et de Souss. Est ce que vous pensez qu’un seul parti suffirait pour les représenter tous ou il faudrait plusieurs partis?
Rachid Raha: Au début, il faut tout d’abord créer un cadre politique unifié qui englobe tous les imazighen. Malgré leur dispersion dans tout le territoire marocain, les imazighen partagent les mêmes problèmes de la marginalisation et de la privation de leurs droits politiques, culturels et sociaux. Mais, n’empêche qu’au sein de ce cadre peuvent coexister des tendances libérales ou de gauche; et qui finiront par se diviser en créant de nouveaux partis, comme s’est passé avec le mouvement national qui s’est formé au sein de parti de l’Istiqlal. Ce dernier, après l’accession du Maroc à l’indépendance, et comme suite à un processus historique, il fut objet d’une première scission, qui a donné naissance à l’Union Nationale des Forces Populaires (U.N.F.P.), et après à d’autres partis et mouvements de gauche. En ce qui concerne la Constitution qui interdît des partis à base ethnique, j’aimerais signaler que l’actuelle Constitution marocaine ne reprend pas toutes les sensibilités et les intégrants du peuple marocain. Il faudrait revendiquer sa réforme afin qu’elle reflète la diversité ethnique et culturelle du pays. Mais, celle-ci s’adapte selon les circonstances et les pressions. Par exemple, devant la force des mouvements islamistes, très répandues au Maroc, le régime par crainte de perdre leur contrôle, les a autorisé indirectement à s’accaparer d’un parti, le Parti de la Justice et du Développement, fondé sur des bases religieuses. On trouve aussi des partis à caractère ethnique qui font appel au panarabisme. Alors, pourquoi les imazighen n’auront-ils pas droit de construire un cadre politique où ils puissent revendiquer leur langue, leur culture et leur identité, sachant très bien, que ce cadre ne peut être que démocratique et ouvert à tout le monde? Devant ce fait, il y a ceux qui préconisent que ceci va contre la modernité politique?. ce sujet, je voudrait bien signaler que des pays démocratiques, comme l’Allemagne ou l’Espagne, ont des partis à base religieuse et ethnique (le parti Social-Chrétien d’Allemagne et Convergencia i Uni? Catalunya en Espagne), et ceci ne sont point en contradiction avec les principes démocratiques, ni avec la modernité.
Hussein Majdoubi: la majorité considère l’amazighité comme une question nationale qui ne devrait pas être l’exclusivité d’un seul parti. Cependant, elle fait partie des programmes des partis politiques, surtout ceux de la gauche, comme le Parti de Progrès et de Socialisme et l’O.A.D.P., à part des partis qui se revendiquent berbéristes comme le mouvement d’Aherdane et de El Ansar ?
Rachid Raha: Les partis de gauche réagissent envers la question amazighe que d’une optique culturelle et d’une stratégie électorale, en se réappropriant de cette question qu’après que les imazighen sont déterminés à s’imposer et à revendiquer leurs droits, et en plus les partis de gauche discriminent au sein de leurs structures humaines ceux d’origine amazigh. Prenant comme exemple, le Gouvernement de »l’alternance », qu’est ce qu’il a offert à la question amazighe? Rien. Il n’a même pas tenu ses promesses. Au contraire, tout ce qu’il fait va contre tamazight. Sous le gouvernement de Abderrahman El Youssoufi, on promulgue une loi qui interdit aux imazighen d’attribuer à leurs enfants des noms amazighes, alors que les juifs peuvent donner parfaitement des noms juifs à leurs enfants! Je me demande pourquoi cette discrimination? Il y a approximativement un mois, le ministre des Droits de l’Homme a prononcé dans un discours en Hollande où il a exprimé que la question amazighe est résolue au Maroc, et que les revendications amazighes sont satisfaites. Je dis à Mr. Oujjar: j’ai honte Mr. Le ministre d’entendre ces dis propos! Le ministre de la Communication, Mr. Mohamed Laarbi Messari avait promis qu’il va consacrer, quotidiennement encore deux heures supplémentaires à tamazight dans la télévision, et jusqu’à maintenant rien n’est fait. D’autre part, le Gouvernement de »l’Alternance »? a présenté un nouveau plan de la réforme de l’enseignement qui envisage une ouverture sur tamazight. Dans cette charte de la réforme de l’Éducation il n’est point d’ouverture sur tamazight si sinon une stratégie gouvernementale de consolider sa politique d’arabisation: l’enseignement de tamazight dans la maternelle et dans le primaire comme langue d’appui afin de faciliter l’acquisition de la langue officielle n’est qu’une campagne d’assimilation. C’est exactement ce que font les pays européens afin d’intégrer les enfants d’immigrés dans leurs écoles. Ainsi, les imazighen, selon cette charte sont devenus des étrangers dans leur propre pays!
Hussein Majdoubi: Mais, il existe des partis qui défendent la tamazight et les imazighen comme le Mouvement Populaire et le Mouvement National Populaire que dirigent Mrs. Aherdane et Laansar ?
Rachid Raha: Ces partis sont des instruments aux mains du régime et des moyens de sa sécurité. Historiquement, ils ont porté préjudice à la question amazighe, et ils sont arrivés à appartenir à une classe politique oligarchique désuète et dépassé par le temps. Mr. Mahjoubi Aherdane a folklorisé la question amazighe qu’elle connait qu’au moment des élections. Il suffit de connaitre que la région à laquelle il appartient connait une situation économique extrême. Qu’est ce qu’il a fait pour cette région. Ce qui est pire c’est que le régime veut le convertir en porte-parole des imazighen afin de contrôler cette question. Par exemple, juste avant et après la rencontre de Bouznika de 13 et 14 mai pour analyser la question amazighe par les signataires de la charte de Mohamed Chafiq, ses photos et ses déclarations se sont multipliées dans tous les moyens de communication. Il veut même diviser le Congrès Mondial Amazigh. Mais Aherdane est un instrument aux mains du Makhzen, et c’est connut ceux qui le manipulent! Ce que je demande à Aherdane, c’est qu’il prenne sa retraite politique, et s’il continue dans sa politique nuisible, on va le juger et on va convertir son jugement populaire en un acte historique et symbolique comme le jugement que les organisations des droits de l’Homme essaient de faire à l’ex ministre Driss Basri. Surtout que son histoire demande beaucoup de clarifications à propos de son implication dans la répression sévère des rébellions du Rif et du Moyen Atlas à la fin des années cinquante et sa contribution à la désintégration de l’Armée de Libération. De toute manière, il n’est qu’une figure survivante de l’époque d’Oufkir dans le panorama politique marocain. Actuellement, il essaie d’hériter à son fils son parti qu’il dirige de manière dictatorial comme la dictature d’Assad lorsqu’il a passé le pouvoir à son fils Bachar.
Hussein Majdoubi: Qu’est ce que vous entendez par ces termes et ses expressions suivantes: tamazight et régionalisme; et tamazight et le Maghreb Arabe?
Rachid Raha: Le centralisme et le régionalisme sont régis par le régime à partir d’une perspective de sécurité, qu’il a voulu utiliser pour résoudre le problème du Sahara. Je demande qu’on reconsidère la répartition ou subdivision régionale, tout en respectant les spécificités de chaque région. Un vrai régionalisme s’accompagne d’un pouvoir politique et administrative autonomes et décentralisés, comme ce qui se fait en Espagne, ce qui donne la chance aux citoyens d’une région donnée de gérer leurs destins et de régler leurs problèmes.? serait un grand pas si on veut arriver à ériger un pays moderne et démocratique, et par la suite, cela nous permettrait de ne pas tomber dans le risque de division territoriale et d’économiser des aventures comme celle qui s’est passée avec la région du Sahara. Quant à la terminologie du »Maghreb Arabe », il ne prend pas en considération le facteur humain amazigh qui représente 75% de la population de ce grand ensemble géographique, ce qui a amené à l’évident échec de cette »UMA » qui s’est abordé à partir de faux fondements comme atteste sa propre appellation. Le Colonel Maammar El Kadhafi, connu par son fanatisme envers le nationalisme arabe (panarabisme), a affirmé récemment dans la revue Le Figaro International, qu’il se sent plus africain et que sa culture est plus amazighe qu’arabe. Ceci devrait avoir des répercussions sur cet ensemble géographique si on voudrait recommencer à reconstruire cette union des pays nordafricains, et ça devrait commencer par la réforme des Constitutions de ces pays en reconnaissant l’officialité de la langue et identité tamazightes, et ensuite faire participer leurs peuples dans la construction de cette union, au lieu de le laisser aux mains des gouvernements actuels qui se sont distingués par leur nette échec et incapacité.